Écouter de la musique via des plateformes de streaming, regarder un film sur les recommandations d’un site spécialisé, parcourir une exposition virtuelle dans le confort de son canapé…Le numérique a déjà largement fait évoluer nos expériences culturelles et cette transformation n’en est qu’à ses débuts.
Si la culture n’est pas un “produit” comme les autres, elle doit toutefois s’adapter aux exigences contemporaines de ses publics : Hyper-choix, interactivité, besoin d’accompagnement, simplicité, instantanéité…Aucune structure culturelle ne peut aujourd’hui se faire entendre sans une présence en ligne, ne serait-ce que via un site Internet et une page Facebook mise à jour régulièrement.
Plusieurs objectifs sont en jeu : La communication culturelle doit permettre de fidéliser un public qui connaît déjà l’établissement, de toucher une nouvelle audience parfois éloignée de la culture, et in fine de transformer tous ces internautes en visiteurs.
Mais alors, comment penser sa présence numérique lorsque l’on est une structure culturelle ? Pourquoi et comment communiquer de façon efficace et authentique sur son offre, ses événements et son identité ?
Dans cet article, je vous donne quelques clés pour mieux appréhender l’élaboration d’une stratégie de communication digitale pour une structure culturelle. Si les principes énoncés ne s’appliquent pas nécessairement qu’à ce secteur particulier, ils sont néanmoins parfaitement adaptés à leurs besoins spécifiques, et plus particulièrement aux organisations qui n’abritent pas en leur sein d’équipes de communication très développées. Bonne lecture !
La communication numérique à la sauce culturelle
Pendant plusieurs années, le numérique a été vu d’un mauvais œil dans le secteur culturel. Fastidieuse, challengeante, l’adaptation au champ numérique demande en effet bien des efforts aux structures, des grands musées jusqu’aux petites institutions ; Elle leur impose de se positionner dans un contexte de redéfinition organisationnelle de leur mission, à reconsidérer le rapport aux collections, au parcours, au statut des publics…Bref, des réflexions qui vont bien au-delà du seul enjeu communicationnel.
Entendons-nous bien, il ne faut jamais perdre de vue le fait que les offres numériques sont là pour agir en complément de l’expérience in situ. Un écran ne saura jamais recréer l’émotion que l’on ressent face à une œuvre, que ce soit pour la contempler dans un musée ou l’acquérir dans une galerie. L’original, l’origine, est le point où tout débute, où la culture prend sa source.
Les contenus numériques ne sont pas l’arme ultime pour contrecarrer les inégalités d’accès à la culture, ils ne sont pas la méthode magique pour pallier la fermeture actuelle de nos lieux de culture. Mais en permettant aux visiteurs de préparer, de prolonger ou de mémoriser leur visite, en permettant à ceux qui ne peuvent pas venir de se faire une idée de ce qu’il est possible de voir et en offrant à un large public la possibilité d’acquérir des connaissances nouvelles, ils ont bien un rôle décisif à jouer. Dans un contexte de concurrence exacerbée et de démultiplication des pratiques culturelles individuelles, Internet répond de manière satisfaisante à des enjeux essentiels de mise à disposition de tous du bien culturel commun et de préservation de la diversité culturelle.
Dans le même temps, les attentes et les usages des internautes évoluent, imposant aux organisations de faire évoluer leur façon de communiquer avec eux et pour eux. Chaque établissement doit maintenant penser une stratégie en adéquation à la fois avec son offre, sa vision, mais aussi les aspirations profondes des publics qu’il vise. Je ne me positionnerai pas sur l’avènement de cette “civilisation du poisson rouge” dépeinte par Bruno Patino, mais il est néanmoins certain que les attentes des publics de demain sont bien différentes de celles de leurs aînés en matière de consommation numérique. C’est donc à la lumière de leurs aspirations que je vous détaille quelques principes à appliquer pour garantir une stratégie de communication impactante, qui entremêlent des logiques interactives, ludiques et cognitives.
Une offre lisible
Saturés d’images et de messages, les internautes recherchent aujourd’hui à pouvoir se représenter une organisation en quelques secondes en trouvant la réponse à ces quatre questions : Qui est-elle ? De quoi parle-t-elle ? Comment le fait-elle ? Pourquoi le fait-elle ?
Quelle image souhaitez-vous renvoyer ? Quel est le cœur de cible de votre communication ? Quels types de visuels mettez-vous en avant ? Quel ton devez-vous employer pour correspondre à vos publics et servir votre réputation ? La sociologie des réseaux sociaux n’est pas le sujet du jour mais peut-être l’aborderai-je dans un prochain article.
Dans tous les cas, il faut que depuis vos réseaux ou votre site soit compréhensible en très peu de temps ce que vous faites et qui vous êtes. Cela veut dire par exemple respecter les standards propres à chaque plateforme ; Nous y revenons plus loin.
Hyper-choix = Hyper-stress = Dispersion du public et de vos messages
Aujourd’hui, le contenu est roi. Les publics actuels ont accès à une offre de biens et de services culturels sans commune mesure avec ceux qui les ont précédés. Paradoxalement, selon une enquête menée par Kurt Salmon, 80% du public sondé voit dans cet hyper-choix un frein à son accès à la culture.
Cet état de fait m’amène à vous faire part de mes modestes lumières. Si je n’avais qu’un seul conseil à donner, ce serait celui qui va à l’encontre de bien des croyances que l’on nous enseigne au cours d’un cursus en communication : Vous ne devez pas chercher pas chercher à être présent partout. En multipliant les prises de paroles sur toutes sortes de plateformes numériques, vous concourez à deux choses :
La cacophonie ambiante, conduisant à la généralisation d’un public que Kurt Salmon nomme les “e-perdus”, qui risquent alors de se réfugier dans une consommation culturelle majoritairement numérique ;
La dispersion de vos propres messages et in fine un impact moins fort de votre stratégie.
Dans le même temps, vous perdez énormément de temps et d’énergie à produire des contenus qui ne seront pas ou peu consultés et qui ne représenteront pas une grande valeur ajoutée pour vos publics.
Alors comment faire ? Je me permets ici de reprendre à mon compte un schéma dispensé par Alexis Minchella, celui de la modélisation d’un écosystème de communication.
Prenons l’exemple d’une galerie d’art. La taille des cercles représente l’importance de chaque plateforme dans la stratégie globale de la galerie, en termes de volume de contenu et de régularité de publication. Celle-ci dispose d’un site Internet via lequel elle diffuse la majorité de ses informations, à savoir les dates de ses événements, les portraits des artistes qu’elle représente et un aperçu de leurs travaux respectifs. En parallèle, elle alimente de façon bihebdomadaire un compte Instagram avec des visuels de ses différentes propositions artistiques; des stories montrant l’accrochage de sa prochaine expo ou les coulisses de la création d’une œuvre. Enfin, elle diffuse mensuellement une newsletter aux visiteurs, amateurs ou initiés, ceux qui ont renseigné leur adresse mail dans cette fameuse liste que l’on trouve sur bien des comptoirs d’accueil. Et c’est tout. Exit les pages Facebook que l’on ne met à jour qu’une fois tous les six mois, exit la chaîne Youtube qui ne comptabilise que 10 vues pour 3 vidéos que l’on a mis des jours à réaliser.
Plutôt que de grappiller quelques minutes d’attention par-ci, par-là, ne serait-il pas plus intéressant de concentrer votre énergie sur deux ou trois plateformes grand maximum, qui deviendraient les lieux de rendez-vous connus et reconnus entre vous et votre public ?
À chaque médium son usage
On ne publie pas sur Instagram ce que l’on publie sur Twitter ou Facebook. La première des erreurs fréquemment commises est de simplement dupliquer un contenu pour ensuite le distribuer indifféremment sur tous ses réseaux sociaux. Non seulement cela ne signifie pas automatiquement un accroissement de sa portée, mais cela n’apporte aucune valeur ajoutée aux personnes qui font l’effort de vous suivre sur chacune desdites plateformes. Ce dernier point m’amène au suivant.
Le cercle vertueux de l’interactivité
Au centre du schéma plus haut se trouve votre audience. C’est à son service que doit être pensée votre communication et les contenus qui en découlent. Et si les réseaux sociaux portent leur lot d’inconvénients, ils permettent néanmoins quelque chose de fabuleux : L’interaction. Et avec l’interaction se voit décuplée l’opportunité de transformer un internaute en visiteur physique.
Alors que la communication fonctionnait de façon verticale il y a une vingtaine d’années, elle est aujourd’hui horizontale voire circulaire : On ne peut plus attendre des publics qu’ils intègrent docilement les informations que leur délivrent les structures. Les identités de ces dernières sont plutôt co-construites avec eux, d’où l’intérêt d’engager vos communautés en ligne. Qu’il soit physique ou digital, le bouche-à-oreille constitue encore aujourd’hui l’un des principaux canaux de diffusion des offres du secteur culturel.
La clé de voûte : La régularité
Je vous épargne ici les adages consacrés, mais il faut bien avoir en tête que la construction d’une véritable communauté en ligne est un processus qui prend du temps. Beaucoup de temps. Et cela ne signifie pas qu’il faut viser l’objectif de milliers d’abonnés sur Instagram. Cette idée a mis du temps à faire son chemin mais elle est désormais largement admise : Mieux vaut 1000 “followers” engagés, qui suivent assidûment vos publications, les commentent, les partagent, que 10 000 qui ne consultent jamais vos contenus et ne représentent finalement qu’un chiffre.
Le stratège, à l’inverse du tacticien, ne court pas un 100 mètres. Il est lancé dans un marathon. Quels que soient le ou les canaux via lesquels vous aurez choisi de communiquer, il faudra vous y tenir dans le temps long et être présent. Être présent, cela veut dire publier régulièrement mais aussi engager votre communauté, leur permettre de prolonger l’expérience de votre structure via le numérique. En 2009, Serge Chaumier parlait déjà de “muséologie participative” pour qualifier l’expérience vécue au sein des institutions culturelles sous le prisme des logiques propres aux cultures numériques.
Comme je vous le disais un peu plus tôt, si vous ne pouvez ou ne voulez pas vous engager à publier régulièrement sur une plateforme – c’est-à-dire au moins de façon hebdomadaire – et ce sur le temps long, mieux vaut l’abandonner pour concentrer vos efforts ailleurs.
Transparence et authenticité
Transparence et authenticité sont les derniers points que je souhaitais aborder dans ce bref tour d’horizon des aspirations actuelles en matière de consommation de contenus culturels. A la fois déconnecté du monde physique à cause de la surconsommation d’écrans et en saturation d’informations souvent trompeuses en provenance de la grande consommation, les internautes cherchent à ralentir le rythme, à sélectionner plus attentivement les contenus qu’ils consultent et les personnes qu’ils écoutent.
Par-dessus tout, ils veulent pouvoir construire une relation authentique et de proximité avec les structures dans lesquelles ils se rendent. Souvent bien mystérieux, le monde de la culture n’a que du positif à tirer de l’idée d’ouvrir ses portes pour dévoiler les coulisses de la création et de la diffusion artistique.
Sobriété, interactivité et régularité seraient les trois principes vers lesquels votre stratégie de communication devrait tendre. Plus qu’un gadget, les contenus numériques d’une structure culturelle sont là pour enrichir l’expérience de ses publics, repenser la façon dont ils interagissent avec l’art et le patrimoine, pour les amateurs avertis mais aussi pour ceux qui n’ont pas l’habitude de fréquenter des établissements culturels et artistiques. En nourrissant votre présence numérique de façon régulière et cohérente, en interagissant avec vos aficionados, vous vous distinguez des autres et vous rapprochez un peu plus de la chance qu’ils vous choisissent plutôt qu’un autre lors de la prochaine sortie culturelle.