Financer son podcast grâce au crowdfunding : entretien avec Jonathan de France Greeters

En 2022, nous avons travaillé avec la Fédération France Greeters pour réaliser et produire le podcast Ailleurs Chez Nous, une série audio immersive en forme de reportage. Pour financer ce projet de podcast, les Greeters ont choisi de recourir au financement participatif à travers la plateforme de crowdfunding HelloAsso.

Aujourd’hui, nous nous entretenons avec Jonathan Huffstutler, président de la Fédération France Greeters. Il va nous expliquer pourquoi ils ont choisi ce mode de financement et comment ils ont réussi à lancer leur chaîne de podcast de destination grâce au crowdfunding.

Aparte Studio

Bonjour Jonathan comment vas-tu ? Est ce que tu pourrais nous en dire un peu plus sur toi et m’expliquer pourquoi avec les Greeters, vous avez décidé de créer un podcast de voyage ?

Jonathan de France Greeters

Je m’appelle Jonathan et je suis président de la Fédération France Greeters depuis septembre 2019. Alors, les Greeters, par définition, c’est une histoire de rencontre entre les gens. En fait, on essaie de rentrer en relation avec un visiteur venu d’ailleurs. Ce n’est pas forcément un touriste, mais c’est quelqu’un de curieux, quelqu’un qui veut voir ce qui se passe derrière le décor de carte postale d’une destination et qui veut partir à la rencontre des locaux. 

Nous nous inscrivons dans une démarche de slow tourisme, où on invite à prendre son temps. Et moi je préfère dire « se donner le temps » parce qu’on s’accorde en fait ce qu’on a de plus précieux.

Et donc le podcast, ce format long et immersif, nous paraissait complètement en adéquation avec cet objectif.

On avait aussi une autre problématique qui était celle de ne pas véhiculer l’image d’une association qui propose de la prestation touristique, des visites ou des activités, de la consommation de voyage. On voulait que par la voix, par le son, les auditeurs comprennent l’ambiance et l’importance de la relation humaine dans le voyage. 

Aparte Studio

Alors toi tu es déjà sensibilisé au podcast, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Comment as tu réussi à convaincre les autres membres de l’association qui ne sont peut être pas consommateurs d’audio digital ?

Jonathan de France Greeters

Alors en fait, j’ai eu plusieurs difficultés. La première, c’était évidemment la moyenne d’âge des bénévoles de l’association qui est bien au-dessus de celles des auditeurs de podcast. Donc il faut expliquer un petit peu. Mais finalement, j’ai eu très peu de réticence par rapport à ce format et dès qu’ils se sont mis à écouter un premier podcast, ils ont tout de suite trouvé des avantages. Et je n’ai même plus eu à les convaincre.

Par contre, le nerf de la guerre c’est le financement et en tant qu’association, on s’est posé la question de comment on va faire ? J’ai du convaincre les personnes d’investir en co-financement 2000€ par épisode pour créer quelque chose de qualitatif. Et je pense que c’est ça qui a été le plus difficile.

Alors il y a des podcasts qui sont simplement des interviews ou des enregistrements même très basiques, des conversations avec une grande fréquence, beaucoup d’épisodes.

Nous, ce qu’on voulait, c’était peut être faire moins d’épisodes, mais faire mieux et avec une meilleure qualité. 

Mais par contre, c’était important de ne pas se tromper dans le message. Nous avons préféré créer quelques épisodes plutôt que de se lancer dans une série avec un grand nombre de portraits dans toutes les destinations très rapidement, mais avec une qualité forcément moins bonne.

Aparte Studio

Pour créer le podcast des Greeters, vous avez choisi de financer votre podcast grâce au crowfunding. Est ce que tu peux nous expliquer pourquoi vous avez privilégié le financement participatif et comment vous avez préparé la campagne ?

Jonathan de France Greeters

Alors en fait, c’était bien entendu une façon de financer le podcast. Mais pour tous ceux qui voudraient se lancer dans ce type de financement, il ne faut pas le voir uniquement comme une source de revenus. Pour moi, c’est d’abord une manière de sentir l’intérêt de sa communauté pour le projet et aussi de commencer à communiquer autour de ce podcast pour voir si une audience existe.

Donc bien sûr, on va obtenir de l’argent, mais je dirais que c’est presque secondaire. Et l’autre chose que ça nous a permis de faire aussi, c’est de renforcer certains partenariats qu’on avait, notamment les rétributions et les lots qu’on promettait aux personnes qui nous financent. Et donc on est allé toquer un peu à droite à gauche, auprès de nos partenaires, en leur présentant le podcast et en leur demandant : est ce que vous voulez nous soutenir ? Est ce que vous pourriez proposer quelque chose qu’on pourrait donner en récompense ?

Et ça, en fait, c’est aussi un avantage. Ça permet de voir parmi ses partenaires qui est prêt à embarquer dans l’aventure concrètement avec vous. Et donc il y a de l’argent, mais je dirais, ça vous donne aussi beaucoup d’indications sur l’intérêt que les gens portent à votre projet, la communication pour votre futur audience, les partenaires sur qui vous pouvez compter pour lancer ce projet là, etc.

Et même en interne, ça mobilise énormément d’énergie. Donc si vous allez vous lancer dans toute une série dans votre podcast, il faut que vous sachiez si votre réseau est réellement engagé ou pas ! Si votre campagne réussit et atteint ses objectifs, ça vaut le coup de se lancer. Si pour une raison ou pour une autre, ça ne porte pas ses fruits, c’est qu’il manque peut être quelque chose pour que ce soit un succès par la suite.

Aparte Studio

Et alors quels étaient les objectifs de cette campagne, à la fois en termes de chiffres mais aussi de test de l’idée ?

Jonathan de France Greeters

Alors en fait, c’est sûr qu’on a péniblement atteint la somme visée qui était de 4000 euros. On avait peut-être une ambition trop forte au départ. En fait on a été assez surpris, car c’est le tout premier cercle, famille ou amis très proches, qui s’est mis à donner dans un premier temps. Et ensuite par le bouche à oreille, on a réussi à y aller. Mais les personnes qu’on visait vraiment au départ, nos visiteurs, nos Greeters, se sont intéressés à la campagne mais n’ont pas nécessairement investi dans la collecte.

Et par contre, ce qui a été assez surprenant et même touchant, c’est que ce sont ceux qui avaient le moins de moyens qui se sont vraiment mobilisés. Et ils ont à la fois parlé du podcast autour d’eux et beaucoup donné. Après évidemment, c’est parfois compliqué pour des entreprises ou des organisations de faire un don dans ce type de campagne. Ce n’est pas encore dans les mœurs…

Aparte Studio

Et alors qu’est-ce que vous avez pu financer grâce à cette campagne ?

Jonathan de France Greeters

Alors au départ, l’objectif c’était de financer les tout premiers épisodes du podcast. Les premiers 2000 euros et un apport supplémentaire de 2000 euros du bureau de l’association nous ont permis de financer à la fois la conception du podcast et le premier épisode de la série. Et ensuite, nous avons choisi de lancer un appel à projets avec les 2000 euros restants.

Le principe, c’était de proposer un financement à hauteur de 50% du coût d’un épisode, complété par une participation équivalente par la destination sélectionnée.

Donc 1000 euros pour France Greeters et 1000 euros pour la destination. Cela permettait à de petites associations locales de se lancer dans le podcast à moindre coût si elles le souhaitaient.

Je pense que c’est bien pour du lancement, mais après il faut trouver quand même un modèle de financement un peu plus pérenne et qui permettent de mobiliser d’autres destinations par la suite.

Aparte Studio

Donc si je récapitule, Greeters France, c’est une fédération nationale et ensuite il y a des antennes locales avec qui vous avez partagé les frais à 50 % pour la fédération et 50 % pour les antennes locales, c’est ça ?

Jonathan de France Greeters

Alors les Greeters, déjà, c’est une communauté d’habitants bénévoles et c’est venu d’abord du terrain, et puis certains se sont regroupés en associations et dans d’autres endroits, ce sont des offices du tourisme, des structures plus institutionnelles qui se sont créées. Et puis comme on était très nombreux, on a aussi créé une fédération.

Cette fédération a pour but d’animer le réseau et de promouvoir le concept. Et donc c’est pour ça que dans notre mission de communication, on a sollicité l’ensemble de nos réseaux et on a aussi financé le premier épisode intégralement. C’était sur Marseille, sur un réseau associatif qui a peut-être moins de moyens mais qui a su se mobiliser pour faire un épisode.

Ensuite, on a travaillé avec l’office du tourisme de Nancy qui était déjà intéressée par la création d’un podcast. Puis le troisième épisode a été créé avec un réseau qui venait de nous rejoindre peu de temps avant : Saint Gervais Mont-Blanc, qui est aussi un office du tourisme et qui voulait aussi offrir un autre regard sur sa destination et pas seulement de la montagne et des sports d’hiver et plutôt montrer qu’il y a des gens qui y vivent à l’année.

Et donc pour 2023, on espère que d’autres destinations se lanceront dans l’aventure. On a décidé de pérenniser cet appel à projets chaque année. Ça fait partie de notre budget au niveau de la fédération pour les cotisations. Cela nous permettra de financer 2 à 3 épisodes par an. Ce n’est pas beaucoup mais en fait, par rapport à nos moyens, ça évite d’empiéter sur d’autres projets.

Aparte Studio

Alors j’aimerais que tu nous parles un peu de la conception du podcast, tout ce travail éditorial qui se réalise en amont des épisodes et que la fédération France Greeters a entièrement financé.

Jonathan de France Greeters

Effectivement ! Chez les Greeters, on voulait vraiment arriver avec quelque chose de déjà assez bien abouti. Et on voulait vraiment être accompagné sur toute cette phase là, toujours dans l’idée de produire un contenu de grande qualité. Il y avait toute une identité sonore, mais aussi une charte éditoriale, des objectifs qu’on voulait viser et puis aussi tout l’environnement qu’on va retrouver sur chacun des épisodes. Et ça, en fait, on n’allait pas demander à chaque destination de le financer. On a voulu que toute cette étude préalable, qui inclut l’identité sonore et visuelle, soit prise en compte dans une enveloppe dédiée à la communication en amont.

Aparte Studio

Alors vous avez lancé ce podcast début 2022. Aujourd’hui vous avez sorti 3 épisodes. Quels sont les retours et le premier bilan de cette expérience ?

Jonathan de France Greeters

Alors il y a toujours les attentes et la réalité. Ce n’est pas toujours évident parce qu’on est sur un média qui est différent, qui est nouveau. Donc nous on se disait qu’il y allait avoir un engouement beaucoup plus grand que ce qu’on a observé en termes d’audience.

Pour nous l’objectif, c’est de construire un média sur la durée. Et plus il y aura d’épisodes, plus on aura une audience qui va suivre. C’est le pari qu’on a fait.

Alors effectivement, si on avait fait le choix d’épisodes courts, on aurait une fréquence plus grande et une audience qui se serait construite plus vite. Mais il faut qu’on assume notre choix et qu’on accepte d’être patient avant que les choses se construisent.

Par contre, il a déjà eu un effet positif localement. C’est déjà une forme de reconnaissance pour les Greeters. Grâce à ce podcast, on les écoute, on les prend en considération et on investit pour les mettre en valeur avec un message fort autour de la rencontre authentique, à travers une expérience de visite aux côtés d’habitants qui ne sont pas des guides professionnels. Le podcast leur permet d’exprimer leur vision des choses, pas forcément la vérité historique ou scientifique, mais comment elles perçoivent leur territoire.

Et puis pour les destinations qui se sont lancées, je pense qu’elles ont été satisfaites parce qu’en fait, c’est dans l’air du temps, ça rentre dans les stratégies et ça permet de communiquer sur un tourisme de sens, de valeur. Donc ça participe à l’attractivité et c’est aussi ça notre objectif ! Ce n’est pas seulement de faire des balades, c’est aussi de participer à l’attractivité des territoires. Et puis bien sûr, on espère qu’avec le temps, Ailleurs Chez Nous pourra construire sur la durée une audience grandissante.

Aparte Studio

Alors pour terminer, ce serait quoi pour les axes sur lesquels à développer pour le podcast Ailleurs Chez Nous en 2023 ?

Jonathan de France Greeters

Alors justement, comme je le disais, c’est surtout cet aspect budgétaire et pourquoi investir dans l’audio ? Ce que je ressens, c’est que les destinations touristiques ont moins de mal à mettre de l’argent sur des réseaux sociaux, sur des campagnes de publicité, sur la création de contenus vidéo ou même de photos.

Souvent, les professionnels du tourisme ont l’impression que pour faire de l’audio, on a juste à appuyer sur « Record » et ensuite faire un petit montage avec un jingle et puis voilà. Je pense que c’est parce qu’il y a une méconnaissance de ce nouveau média. Je l’ai découvert aussi en travaillant avec vous. Produire un podcast demande énormément de temps, que ce soit la narration, le traitement du son, la préparation en amont à la prise de son. Je l’ai vu en suivant le tournage à Marseille. En fait, je me suis rendu compte qu’on ne peut pas juste enregistrer des gens n’importe où, il faut vraiment que les conditions soient bonnes. Donc, je pense qu’il y a une grande sensibilisation à faire dans ce sens.

Il faut que les gens se rendent compte que pour créer un podcast professionnel, un podcast de destination de qualité, il faut investir. Il n’y a pas de secret !

Mais je pense qu’il y a beaucoup plus de chance qu’un visiteur se dise : tiens, je vais aller visiter cette destination parce que j’ai écouté un podcast, plutôt qu’après avoir visionné une vidéo.

Donc pour 2023, mon objectif c’est vraiment de convaincre les gens que ça vaut le coup d’investir cet argent là. Et je pense que voilà, il y a un peu de temps avant que ça fasse son chemin…

Découvrez le podcast Ailleurs chez Nous et la Fédération France Greeters !